/Paranoïa (em francês)

Jorge Forbes

Ça allait très mal. Il s’était disputé avec son père et avec sa mère, car il estimait ne pas avoir reçu l’attention et l’affection qu’il aurait fallu. Son frère aîné, avec lequel il avait dirigé une école de foot – la passion du sport était une manie dans la famille – était maintenant à ses yeux un escroc, un tricheur; il aurait préféré voir le diable que de le rencontrer, même par hasard, ce frère. Au début de l’année il avait déménagé à Ribeirão Pires: sa sœur l’avait embauché pour administrer une école maternelle de sa propriété. Après deux mois d’une paix relative, tout avait explosé. Il était convaincu que sa sœur le maltraitait et pour peu ne l’avait pas traînée, ainsi que son mari, devant les prud’hommes. Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas de petite amie et ses trente-cinq ans étaient vides et inutiles.

C’est un ami de la famille qui demanda à l’analyste de le recevoir, en urgence. Il raconte, sur un ton qui frise la menace, que Raul, c’est ainsi qu’il s’appelle, a déjà effectué un périple épuisant devant de nombreux professionnels du secteur, de diverses orientations, sans autre résultat que de s’être fait de nouveaux ennemis. L’analyste accepte le défi. Au jour et à l’heure combinés, il était là. Le sourire sympathique et un brin méfiant, la poignée de main ferme et une disposition olympique pour faire le récit ses infortunes. L’analyste écoute avec attention et intérêt les minuties de ses ratages, qu’il raconte sans en cacher le moindre détail. Lorsqu’il perçoit qu’il peut parler, l’analyste lui fait part de son ahurissement ( ébahissement): “Mais vous êtes formidable!”

“Comment ça? a demandé Raul, les yeux écarquillés. Comment est-ce que je peux être formidable?”
“Bon, écoutez, a répondu l’analyste, quelqu’un qui arrive, à trente ans, à être brouillé avec son père et sa mère, qui ne dit plus bonjour à son frère, qui fait un procès à sa sœur, qui n’a pas de petite amie, pas d’ami, pas de boulot, pas d’argent, pas de toit, pas même de quoi manger; est un grand réalisateur. Il est difficile que quelqu’un parvienne à obtenir un tel insuccès dans tous les domaines des relations humaines et du travail”. Et il ajoute: “Vous êtes le meilleur!”

L’analyste a alors l’impression, pour une seconde, que Raul est sur le point de se lever et de s’en aller, convaincu d’être tombé sur un fou qui déraille complètement. Mais non, il est resté, et en balbutiant, songeur, entre rire et préoccupation, il lui a dit:
” C’est, c’est bizarre, mais vous savez que vous avez peut-être raison. J’avais jamais pensé que je pouvais être un raté aussi accompli.”

“C’est que ce n’est pas à la portée de tout le monde d’atteindre un tel degré d’insuccès”, a ajouté l’analyste.
Il lui demande alors de raconter, pas à pas, les secrets de cet insuccès. À l’inverse d’un livre de techniques de succès, c’était comme s’il demandait à Raul de faire son journal intime d’autodestruction. L’intérêt dont faisait preuve l’analyste pour sa méthode de vie était si grand que Raoul ne s’est pas senti en mesure de frustrer son vigoureux auditeur. Au cours des rencontres suivantes, comme on le lui avait sollicité, un peu prévenu des intentions de l’autre, il a commencé le récit détaillé de la construction de son infortune radicale. L’analyste intervenait, ici et là, dans les passages peu clairs ou contradictoires, dans le but de mettre en évidence cette logique de l’insuccès absolu.

À mesure qu’il dictait ce livre parlé, Raul n’a pas mis longtemps a perdre peu à peu de l’intérêt pour ce personnage si compliqué et si fatigant. Un jour, il arrive en racontant qu’il vient de prendre un petit terrain en location, toujours à Ribeirão Pires, pour commencer un élevage de lapins. Le désintérêt pour son malheur venait s’ajouter à son manque d’envie de continuer à venir aux rendez-vous. Avec une certaine éducation, il laissait de temps à autre échapper, qu’il trouvait un peu bizarre de parler à quelqu’un qui, à la différence des autres, ne l’obligeait pas à être quelqu’un de normal, qui ne le traitait pas de dingue, et, au contraire, admirait sa méthode efficace de production de ratage. Le temps venu, il est parti.

Récemment l’analyste a rencontré la personne qui avait envoyé Raul. Celle-ci lui raconte que Raul va très bien, qu’il ne sait pas s’il a fait un traitement ou pas, mais que, sa vie aujourd’hui- ça, il n’y pas à dire – avait changé: il avait même découvert un grand amour!

Intrigué l’ami de la famille a demandé:

– Mais que diable lui avez-vous fait?

– Rien, si ce n’est prêter des conséquences à ce qu’il me disait.

(artigo publicado em português no livro “Você quer o que deseja?”)