/Sur Carl Schimitt

Jacques-Alain Miller

Mercredi II décembre 1991

Texto digitado com a finalidade de estudo.

Le Père est partout, dit à peu Saint Augustin, nous vivons, nous respirons, nous nous mouvons dans le Père. Le Père est le premier des semblants dont nous essayons cette année de percer la nature.

Une autre façon de dire que le Père est partout est d’énoncer que nous subissons, quoique nous en ayons, le régime oedipien, au sens mécanique du mot, et à la fois au sens politique. C’est un régime qui nous oblige à agir au nom de I’Un.

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Même quand I’Un s’en est allé, il reste sa place. Les quatre discours de Lacan sont faits pour le montrer.

Cela est vrai aussi du discours analytique. La place de I’Un y reste inscrite, et elle conserve quelque chose de I’Un. Écrire à la place de I’Un le fameux objet petit (a), n’echappe pas forcément, n’echappe pas du tout, au régime oedipien.

L’objet petit (a) n’est pas le fin mot de Lacan. Cet objet est suspect d’emporter avec lui le régime oedipien, d’en conserver I’essentiel. Lacan a fait précisément son Séminaire Encore pour marquer que l’objet petit (a) ne saurait être le fin mot.

Nous sommes malades du Un, et malades de faire de I’Autre I’Un. Ce n’est le cas de toutes les civilisations, et c’est pourquoi j’ai accentué la dernière fois ce que la psychanalyse tient de la tradition particulière où elle est inscrite. Si nous évoquons la Bible, la religion, saint Augustin, c’est pour avoir chance de saisir quelque chose de ce que nous faisons dans la psycanalyse.

Il y a des traditions qui ont échappé au Nom-du-Père. Dans le bouddhisme par exemple, on est dans le régime d’un divin multiple, irréductible à I’unité. Il semble bien que le divin ait commencé comme ça, par des dieux au pluriel, par le foisonnement, par le pas-tout. C’était le cas chez les Grecs avant qu’on mette les dieux en ordre, qu’on établisse une hiérarchie, que I’on en choisisse douze pour faire I’Olynpe.

C’est le résultat d’une opération politique, I’Olympe. Et elle n’a pas empêché la mythologie de conserver dans tous les coins une foultitude de petits dieux et de petites déesses, de petites nymphes sur qui n’obéissent pas à I’Olympe des douze. Il y a toujours là une petite garce qui ne suit pas le règlement. Et d’ailleurs, c’est à celle-là que Zeus porte un intérêt soutenu.

On la rencontre par hasard, au détour du chemin. On fait « Ah, ah » d’émotion, peut-être d’effroi, devant une atteinte imprévue d’amour et de désir. C’étatit un temps où on aimait la surprise. La surprise met en difficulté le régime oedipien.

Est-ce qu’on aime la surprise? Est-ce qu’on I’abhorre? Est-ce qu’on aime surprende? Le goût de Lacan ne fait pas de doute.

Ce n’est pas le goût classique, qui est fait de regularité, qui cultive I’automaton, qui nuance. Le goût de Lacan va vers le baroque, qui peut fatiguer sans doute à force de cultiver la surprise et I’éclat. Cela m’était paru asez évident pour que je fasse, au beau temps de I’École freudienne de Paris, une petite causerie sur Lacan baroque, à quoi il donna sa sanction dans ce qui est devenu un chapitre du Séminaire XX.

L’oedipien, Lacan nous a facilité les choses pour lui donner sa place en imaginat de I’écrire en termes de logique de la quantification. Cela se ramène à faire coexister – une fonction temporelle est cachée au coeur de cette logique, la simultanéité, ou plutôt la synchronie – tous d’un côté, et, de I’autre côté, un, au moins un. Tous pareils, un différent.

Si on prend les deux formules ensemble, ça ne tient pas, c’est une contradiction. Il faudrait voir si «un » fait partie des « tous pareils », ou non. Il se pourrait que cet «un » ait une double face, qu’il se permette une double appartenance, d’un côté et de I’autre.

A gauche, c’est « tous comme un seul homme ».

Notez que I’on ne dit jamais «tous comme une seule femme ». Si je faisais cette diatribe dans une université américaine, il faudrait sans doute que je le dise. Comme vous savez, là-bas, quand on veut être politiquement correct, il ne faut pas dire, par exemple, « Dieu, il ». Il faut alterner et dire tantôt « Dieu, il » et tantôt « Dieu elle ».

Vous croyez que je rigole. Pas du tout. On fait cours comme ça, et on imprime les livres comme ça. C’est faire entrer à toute force le féminin dans le régime oedipien, comme si c’etait là une promotion, plutôt que l’élaborer dans son ordre propre. Pour l’expérience que j’en ai, les plus féroces défenseurs du régime oedipien, du « tous pareils », sont à chercher du côté des dames.

D’un côté donc, le « comme un seul homme », que les dames ont volontiers sur leur bannière – de l’autre, l’un qui s’excepte, et dont on se demande quel rapport il entretient avec le « tous ».

Si le « pour tous » de la première formule est vrai, alors il doit valoir aussi bien pour le « un » distingué par la seconde. La loi est la même pour tous. C’est ce qui définit, au moins depuis la Révolution française, l’essence du droit. La conquête fut de supprimer l’exception. Ils essayèrent un petit moment de la garder, pour finalement lui couper le cou. Peu importe le détail. Puis ils se mirent tous à se couper le cou les uns les autres, pour être pareils.

Le sujet du droit, pour éviter qu’on lui coupe le cou, il baisse la tête. C’est ce que Lacan a applelé le cervice avec un c.

Le « tous pareils » constitue à propement parler le régime oedipien. Lorsqu’on impose le règne du « tous pareils », le « pas une seule tête qui dépasse », quand on abhorre la surprise – dès qu’il y a une surprise, onl’écrase souns le talon, qui n’est pas forcément le talon de la botte, il y a aussi le talon aiguille – eh bien, on ne rend que d’autant plus nécessaire, intense, inévitable, le surgissement de l’Un, aux applaudissements de tous.

On commence par couper le cou au roi serrurier, qui fut en effet un incapable – non pas Marie-Antoinette, devant laquelle Edmund Burke, quand il visita la cour à Versailles, tomba en admiration, et il écrivit une page sublime sur cette apparition. On liquide Louis XVI et on se retrouve avec Napoléon Bonaparte. Il faut tout de même s’apercevoir qu’il y a une consécution impareble entre ces deux faits.

Dans cette affaire de semblants, et spécialement quand il s’agit du semblant du Père, la clinique passe dans la politique. Les formules de Lacan éclarent les données de structure qui constituent la dimension politique.

Il faut ici que je me réfère à un auteur dont le nom ne vous dira sans doute rien, et qui est mal vu dans le domaine de la théorie politique, mais qui a bien aperçu la logique à l’oeuvre dans l’agrégation humaine.

2

Carl Schimitt était un ami de Heidegger. Du côté de 1933, et dans les années qui suivirent, il semble s’être fourré le doigt dans l’oeil, et c’est plus grave quand on est un juriste que quand on est le philosophe du retour aus Grecs. Il a prêté sa plume à argumenter un certain nombre de dispositions constitutionnelles et législatives qui n’étaient pas du meilleur goût, et quand c’est devenu un peu excessif même pour un juriste à l’estomac d’autruche, il a pris ses distances. L’épisode lui a valu quelques difficultés après la guerre, mais il a continué sa pratique. Ce n’était donc pas une personalité parfaitement recommandable, c’était un anti-libéral acharné, et ce qui tient le haut du pavé depuis lors ne lui a pas fait de cadeau.

Kelsen, au contraire, est parfaitement recommandable. En France, on se réfère tout le temps à lui, par exemple ceus qui essaient de marier la psychanalyse eu l’Europe. Kelsen est le promoteur de ce que l’on appelle dans le jargon juridique le normativisme. Il est partisan de la formule du côté gauche, du « tous comme un seul homme », de la norme.

Les psychanalystes, peu nombreux, qui se sont intéressés au rapport de la psychanalyse et du droit, font de Kelsen le nec plus ultra de la réflexion politique – je mets à part Pierre Legendre qui a poursuivi ses élucubrations dans son registre propre, depuis son ouvrage L’Amour du censeur dont j’ai le meilleur souvenir.

Kelsen est un partisan du « pour tous ». Il s’imagine que le « pour tous » est ce qui permet au groupe de se soutenir. Il en tire la conséquence que l’État qui est un Érat qui, selon sa formule, administre et ne gouverne pas.

Ce serait là l’espoir des temps modernes. À l’ere proprement démocratique, on administre, on ne gouverne pas. On est d’ailleurs en train de fabriquer une Europe qui réspond à ce principe. Gouverner, c’était bon pour le temps où nous étions des sauvages. Policés comme nous sommes, il suffit de nous administrer par des commissions d’experts qui définissent impartialement le bien commun.

Pour repérer le phénomène sur les discours de Lacan, c’est S2, le savoir, venant à la place de l’Un.

Le maudit Carl Schimitt avait tout de même vu autre chose.

Lui est le théoricien politique de la formule du côté droit, du « il en existe au moins un » qui n’est pas comme les autres. On a appelé cela, pour l’opposer au normativisme, le décisionnisme.

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La théorie politique de Kelsen est une théorie de la norme. Celle de Carl Schimitt est une théorie de la décision.

La décision fondamentale est celle qui est hors norme. Quand il y a fading des normes, quand le droit ne réspond plus, quand il est dans les escaliers en train de faire les étages, alors il faut tout de même qu’il y ait quelqu’un qui réspond au téléphone.

Pour Carl Schimitt, voilà ce qui compte. Ce qui est au coeur de l’ordre politique, c’est la question de savoir quelle est l’instance qui décide quand se procuit ce qu’il appelle la n’est pas la régle, le cas normal, c’est l’exception. Qui décide quand il n’y a plus de norme?

Le style même de Carl Schimitt est décisionnel, décisif, incisif. Dès la première ligne de son traité – bref traité, c’est un essai, resté célèbre depuis 1922, au moins livre de référence depuis cette date – il pose sa thèse : « Souverra ist über Ausnahm Zustand entscheidet », « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ».

Le débat est d’actualité, quand nous assistons au tournoi qui oppose les « Européens » et les « souverainistes », les tenants de l’État de pure administration et ceux qui sont convaincus qu’il y a dans la politique autre chose que l’administration, et qui est de l’ordre de la souveraineté.

L’idéologie libérale voudrait dépolitiser le groupe humain, elle s’imagine pouvoir neutraliser le rapport intersubjectif. Je dis : établissez un régime administratif pur, et vous verrez le retour du Maître, d’un vrai Maître. En fait, il est dangereux de chercher à effacer la souveraineté par l’administration.

Il faut bien savoir que l’Europe administrative n’aurait pas de sympathie pour la psychanalyse, et que nous sommes déjà obligés d’avoir un petit oeil sur les couloirs où se manigancent les accords d’experts, parce que l’on ne voit pas pourquoi cela ne les travaillerait pas, à un moment, de coller un règlement à la psychanalyse qui aurait pour effet de l’éventer, la résolber. C’est déjà le cas en Allemagne par exemple. On continue d’appeler autre chose de ce nom-là, persone ne s’aperçoit qu’elle morte.

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Carl Schimitt a vu quelque chose qui est contesté mais qui a sa verité. C’est que le concept de souveraineté, dont il fait le coeur de l’ordre politique, est d’origine théologique. C’est pourquoi il a appelé son essai fulgurant Théologie politique.

Cela appellerait une Théologie psychanalytique. Si quelque’un a eu l’acuité de percevoir ce qui, de la théologie, est passé dans la psychanalyse, s’est tranposé dans la psychanalyse, c’est Lacan. Lacan est le Carl Schimitt de la psychanalyse.

Le religieux a été tranposé dans la politique. La sécularisation n’a fait que transférer au souverain les privilèges qui étaient ceux de Dieu le Père. Sans le savoir, nous crouyant sommes toujours dans le règne du Père.

Carl Schimitt ne croit pas que l’on puisse substituer la légalité à la légitimité. La légitimité est un terme qui ressortit du « pour tous ». La légitimité, elle, relève de l’ « au moins un ».

Charles Maurras a beaucoup fait pour apposer ces deux dimensions, et de Gaulle est resté fidèle à cette conception. Sous une forme apaisée, elle inspire les instituitions actulles de la République française. Le rédacteur principal de la Constituition, M. René Capitan, avait la plus grande admiration théorique pour Carl Schimitt. Et c’est sa conception qui inspira le fameux article I6 de ce président de la République peut suspendre la légalité, l’application du « pour tous ».

C’est ainsi que les formules de Lacan permettent d’ordonner er de déchiffrer quelques-unes des tensions quis parcourent le monde conteporain.

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Quelqu’un est fait le support de l’instance de souveraineté. Il est « un en moins » par rapport à la norme. Il n’empêche que, comme citoyen, il reste soumis au droit commun du « pour tous ». il paye ses impôts, et s’il bousille quelqu’un, il en rend compre devant les tribunaux après qu’on a, dans les formes, suspendu son immunité.

Si nous acceptons ce régime invraisemblabe – invraisemblable, ils le sont tous d’ailleurs, et je n’en prône aucunsi nous l’acceptons, c’est sans doute que l’usage qui a été fait jusqu’à présent des pouvoirs d’exception est resté infime, mais surtout parce que nous nous sentons appartenir à une même communauté. Déléguer à une communauté plus vaste le pouvoir de faire des normes est une chose qui a été faite il y a déjà plusieurs décennies. Constituer à ce niveau l’instance hors normes serait une autre paire de manches. Nous n’avons pas à le refuser puisque ce n’est pas ce qu’on nous demande. On s’est en effet persuadé qu’il n’y a que l’Adminitration de no jours, que nous sommes entrés dans l’ère post-politique.

On se prépare des désenchantements. Je vous renvoie à Max Weber, qui qualifiait de « désenchantement du monde » le processus de sécularisation accompli aux temps modernes.

Quelqu’un l’a bien vu, qui sans doute se fait mal compreendre, et prend plaisir à énerver tous ces messieurs. C’est Margareth Thatcher, qui connaît beaucoup mieux que tous ces bonshommes le Nom-du-Pére. Cela ne leur fait pas tellement plaisir de se faire rappeler à tout bout de champ qu’ils n’en ont pas.

L’instance d’exception définie par Schimitt a le pouvoir légal d’abolir la législation en vigueur. Les efforts de l’état de droit – dont on en a plein la bluche – pour évacuer le problème de la souveraineté, repose en fait sur la méconnaissance de ce qui fonde le groupe comme politique.

La plupart du temp, que décide-t-on dans un gouvernement ? Le prix du ticket de métro. On gère. Pas besoin de politique pour ça. Eh bien, du point de vue de Carl Schimitt, qui parait frappé au coin du bon sens, l’exception est beaucoup plus intéressante que la norme, et c’est précisément dans ce quelque chose d’incommensurable, comme il dit, que réside la clef de l’ordre politique.

Il en a tiré évidemmentles pires conséquences, une certaine sympathie pour un certain type à moustache qui a fichu à la porte la République de Weimar, comme le Christ chassant les marchands du Temple, et aussitôt Carl Schimitt a reconnu en lui quelqu’un capable d’incarner la souveraineté dans la situation exceptionnelle.
Nous se sommes pas pour, mais ces errements n’enlèvent rien à la pertinence de sa conception, qui rétablit, dans la théorie politique majoritairement normaliste – état de droit, etc. – la place de l’au-moins-un. Que l’on saisisse bien ce que cela veur dire. C’est que, quand la norme devient totalitaire, on le paye d’un retour du Maître.

C’est pourquoi le Département de psychanalyse est si mal organisé. Pour que ça fonctionne juste comme il faut, il faut que ça fonctionne un peu mal, avec des ratés et des trous qui desserrent juste assez la norme pour faire place à l’anormal. C’est pourquoi Lacan disait de son École qu’elle serait infonctionnelle, qu’il ne s’agissait pas d’obtenir le rendement parfait.

Faut savoir dans l’administration fermer les yeux et laisser faire. Quelques passe-droits même ne font pas de mal, n’est-ce pas ? Le passe-droit a fonction d’introduire dans le « pour tous » un petit espace de respiration. Ceux qui l’ont bien compris, ce sont les Italiens, au point que rien ne fonctionne chez eux que par passe-droit.

Je ne pas l’éloge du passe-droit. Oui, un peu, comme ça. Si je m’anime un peu pour le défendre, c’est que j’ai beaucoup de mal à m’y faire, mes sentiments me portant naturellement vers le « pour tous ». Ce que j’ai aimé, c’est la Révolution française, c’est bien connu.

Ce qui m’a tout de même tourmenté d’emblée, c’est ce qui a suivi. On vient à comprendre, et Lacan y aide, la connexion inévitable qu’il y a entre ces deux faces, la face Robespierre et la face Bonaparte.

On a vu l’État de la norme, l’Union soviétique défunte, où Lacan voyait l’incarnation de l’État universitaire, la « bureaucratie » pour l’appeler par le nom que les trotskistes lui donnaient, gangrené par un certain type de passe-droit qui s’appelle la corruption, qui n’a rien à voir avec les passe-droits aimables dont je parle – la complaisance par exemple à mettre sur le papier un tampon quand ça peut aider quelqu’un.

Carl Schimitt pose ceci – je le cite : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés. ». Cela indique une direction qui a toute sa pertinence, et à laquelle l’ Aufklarung est aveugle, par cette haine de l’exception qui caractérise le règne de la raison.

L’anti-exceptionnalisme est toujours une erreur. « On ne va pas faire une exception pour vous », voilà ce que dit la voix du « pour tous ». Cela repose sur l’idée, fausse, que tous les cas sont pareils. Cela instaure le règne de l’Unien, comme l’appelle Lacan, où l’on s’emmerde parce qu’on a réussi à faire que tous les cas soient pareils. A ce moment-là, tout est en ordre, les machines parlent aux machines.

La psycanalyse enseigne autre chose, à savoir que chaque cas est différent, ou qu’il vaut beaucoup mieus fonctionner avec ç’axiome, la règle, la norme : chaque cas est différent.

« C’est jamais pareil, aujourd’hui, hier et demain. Un tel, c’est jamais pareil qu’un tel. » Sans doute est-ce plus fatigant, mais c’est aussi tellement plus intéressant. On se creuse la cervelle pour savoir comment rétablir, faire circuler le désir dans tout ça.

L’idée que Dieu est un roi, on la trouve déjà chez Descartes en toutes lettres. Descartes, qui ne s’en laissait pas compter là-dessus, considérait que c’était par un fiat, par une décision – certainement en situation exceptionelle, la création du monde, on ne peut imaginer situation plus exceptionelle – que Dieu avait créé ce qu’il avait appelé « les vérités éternelles ».

Schimittt avait l’idéé, comme le formule Hobbes dans le Léviathan, que l’autorité l’emporte sur la verité : « Autoritas non veritas facit legem », c’est l’autorité et non la vérité qui a fait la loi.

Donc Dieu est un roi, et le roi est quelque chose de Dieu. Voilà les racines de la politique des temps modernes. Ce n’est pas en coupant la tête du roi – on l’a fait aussi en Angleterre – que l’on coupe les adhérences avec l’âge théologique.

L’idée de l’ânge post-politique est une conception positiviste, elle dérive de la conception comtienne sekin laquelle à l’âge théologique succéderait l’âge scientifique. Bien sûr, il y a le discours de la science, mais nous ne sommes pas entrés pour autant dans un âge post-théologique.

«Encore un effort pour entrer dans l’âge post-théologique !»

6

Au binaire oedipien du « pour tous » et de « l’au moins uns », s’opposent les deux formules de l’au-delà de l’OEipe. Premièrerment, le multiple qui ne fait pas un tour, la série qui n’obéit à aucune loi préalable et dont les éléments doivent être considérés un par un. Deux, l’absence d’exception, qui est aussi absence de limite.
Je laisse cela pour plus tard. Je reste sur l’articulation entre ce qui vaut « pour tous » et le surgissement de l’exception.

L’angoisse est une exception parmi les affects. C’est ainsi que Freud la présente, et c’est ce que Lacan, lecteur de Freud, souligne – non pas invente, non pas découvre, mais souligne – quand il dit : l’angoisse est l’affect qui ne trompe pas.

Tous les affects trompent. Le senti-ment, comme disait Lacan. On pourrait même mettre le signifiant dans le lot, pour autant qu’on ne l’attrape que par méprise. Vous vous souvenez de ce que j’ai développé la fois dernière à partir du texte de Lacan, « La méprise du subjet-supposé-savoir ».

Eh bien, les affects sont toujours déplacés, ils vous trompent, et pourtant il y en a un qui ne vous trompe pas. La théorie de l’angoisse, de Freud à Lacan, s’inscrit dans la logique de la norme et de l’exception. C’est l’application du régime oedipien à la théorie des affects.

Lacan commence par l’angoisse son « séminaire inexistant », celui qu’il devait consacrer aux Noms-du Père-pluriel – et dont il donna seulement la première leçon. C’est le séminaire qu’il avait consacré l’annnée précédente à l’angoisse qui l’conduit à cette pluralisation des Noms-du-Père. Il voit dans l’angoisse une question cruciale – c’est son terme – pour démentir la conception qui ferait du sujet une fonction de l’intelligence, corrélative à l’intelligible.

Un sujet qui serait une pure intelligence, serait-il suceptible d’angoisse ?

L’intelligence est une fonction animale, elle est justement ce qu’il y a de commun entre l’homme er l’animal, elle accomplit l’adaptation au milieu. Si elle était toute-puissante en l’homme, celui-ci ne connaîtrait pas l’angoisse.

La leçon inaugurale de Heidegger portait sur l’angoisse, et c’est resté um thème de l’existentialisme populaire. Sartre –sa Nausée, son roman esté célèbre – a déguisé l’angoisse existentielle sous le nom de « nausée ». L’angoisse est ce qui fait objection au « pour tous », au pur sujet de I’intelligible.

Lacan fait référence à Kierkegaard, qui objecte sa solitude butée au maître berlinois de l’universel : « Tu peux toujours me démontrer que ton universel est capable de devenir particulier, tu ne peux rien contre le fait de mon angoisse ».

Le maître moderne parle au nom du «pour tous ». L’angoisse lui démontre qu’il est contre elle impulissant.